17 Mars 2022
« Je devais donc supprimer le savoir, pour trouver une place pour la foi » (Critique de la raison pure, seconde préface). Par cette célèbre phrase, Kant annonçait son grand remplacement. Si l’on suit les analyses d’Olivier Dekens (Comprendre Kant, Armand Colin), Kant considère que l’homme est un animal philosophique : « Kant considère en effet qu’il y a au plus profond de l’être humain un désir, une tension vers l’au-delà de l’expérience qu’il serait illusoire de prétendre contrôler. La nature métaphysique de l’esprit est une donnée, ou plutôt une disposition originaire de la pensée, que la philosophie peut et doit exprimer, mais qu’elle n’a pas vocation à combattre. Kant va plus loin. Cette tendance à penser Dieu, la liberté, le monde, cette orientation de l’homme vers l’inconditionné est précisément ce qu’il s’agit de préserver et de sauver, en la débarrassant des aspects les plus contestables et de ses errances illégitimes » (p. 1-5).
Pour un aristotélicien, cette tendance naturelle ne peut qu’emporter l’adhésion. Toutefois, et c’est là où le bât blesse, celle-ci est malheureuse, ce qui est bien le drame de la raison. La raison, chez Kant, est cette faculté qui « aspire à l’infini, à l’au-delà des phénomènes, à ce que Kant appelle les Idées » : l’âme, le monde et enfin Dieu. Or elle est une faculté qui produit des questions « tout en sachant qu’elle ne pourra y répondre ». C’est bien l’œuvre de toute la critique kantienne de le démontrer. Le seul domaine légitime de l’usage de notre entendement sont les phénomènes donnés dans l’expérience. Tout ce qui échappe à l’expérience, tout ce qui échappe à l’espace et au temps est inconnaissable et indémontrable. Est-ce à dire que les Idées de la raison ne servent à rien ? C’est là qu’intervient le Grand Remplacement : la disposition métaphysique de l’homme trouve son accomplissement non dans la contemplation, comme c’est le cas chez Aristote, mais dans la pratique. La véritable métaphysique, chez Kant, nous semble-t-il, est une philosophie pratique. Si les idées de l’âme, du monde et de Dieu ne sont pas connaissables dans le cadre de la métaphysique conçue comme une science, elles retrouvent leur utilité dans la pratique et deviennent ainsi des postulats de la raisons pratique : l’immortalité (de l’âme), la liberté et l’existence de Dieu. Elles servent à garantir que le devoir moral, qu’il nous faut suivre sans condition, est avantageux. Car le souverain bien, auquel le devoir moral nous rend digne, ne peut être atteint que si l’âme est immortelle et si Dieu existe. Toutefois, ces postulats ne sont pas « connus » en tant que tels : ils sont l’objet d’un acte de foi. Ainsi, la disposition métaphysique à la contemplation est remplacée par la morale, dans laquelle elle trouve son accomplissement : le service de la loi morale. Un fameux remplacement !