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Le Cercle Phi

Philosophie et Amitié

Les Seconds Analytiques (III)

Comme évoqué précédemment, la science prend donc, chez Aristote, la forme d’un syllogisme : le syllogisme démonstratif. Les Seconds Analytiques étant un traité de logique, Aristote va expliciter les formes que peut prendre ce syllogisme, et exposer toutes les conditions qui font d’un syllogisme une démonstration produisant la science.

Quelles sont ces conditions ? Elles portent avant tout sur les prémisses du syllogisme. Mais qu’est-ce qu’une prémisse ? Pour cela, il faut revenir à la forme logique du syllogisme (dans la première figure, sachant qu’il y en a trois). Aristote le formalise ainsi :

Tout B est A (prémisse majeure).

Tout C est B (prémisse mineure).

Donc tout C est A (conclusion).

Ce raisonnement très simple comprend trois termes (A le majeur, B le moyen-terme, C le mineur) et trois propositions, les deux premières se nommant les prémisses (la prémisse majeure parce qu’elle contient le terme majeur et la mineure parce qu’elle contient le terme mineur), la troisième la conclusion, que l’on déduit des prémisses. Le terme C est le sujet auquel le raisonnement va permettre d’attribuer l’attribut A. Pour attribuer A à C, il faut un intermédiaire, cette attribution n’étant pas évidente en soi. Cet intermédiaire est le moyen-terme – ici B. C’est grâce au moyen-terme que l’on peut attribuer A à C. Il est la cause logique de l’attribution de A à C.

À quelles conditions les prémisses permettent-elles d’obtenir un syllogisme démonstratif ? Pour ce faire, les prémisses doivent être « vraies, premières, immédiates, plus connues que la conclusion, antérieures à elle et causes » (I,2).

« Vraies », car la science ne porte jamais sur le faux, c’est-à-dire ce qui n’est pas. Quelque chose est dit « faux » s’il n’est pas conforme à la réalité, s’il n’existe pas dans la réalité.

« Immédiates », c’est-à-dire ne dépendant pas d’autres prémisses antérieures. En effet, dans le cas contraire, il faudrait également démontrer les prémisses de la démonstration, puis démontrer les prémisses des prémisses, et ainsi de suite jusqu’à l’infini, ce qui est impossible.

« Causes », car nous ne possédons la « science d’une chose qu’au moment où nous en avons connu la cause ». Ainsi, les prémisses doivent être réellement causes de la conclusion, et non pas seulement causes logiques. Pour bien le comprendre, prenons deux exemples présentés par Aristote lui-même, lorsqu’il explique pourquoi les étoiles scintillent et non les planètes :

Tout ce qui est éloigné scintille.

Toutes les étoiles sont éloignées.

Donc toutes les étoiles scintillent.

 

Tout ce qui scintille est éloigné.

Toutes les étoiles scintillent.

Donc toutes les étoiles sont éloignées.

De ces deux raisonnements, seul le premier est une démonstration par la cause. Lui seul nous donne le « pourquoi » de la conclusion, la cause du scintillement des étoiles, à savoir leur grand éloignement. Au contraire, le second n’est pas une démonstration par la cause mais par l’effet, car il ne donne pas la cause de l’éloignement des étoiles. En effet, les étoiles ne sont pas éloignées parce qu’elles scintillent, comme l’exprime ce raisonnement, mais c’est plutôt l’inverse : les étoiles scintillent parce qu’elles sont éloignées. Ainsi, pour qu’il y ait démonstration, les prémisses doivent être, grâce au moyen-terme, la véritable cause de l’attribution de A à C.

Au livre I, 13, Aristote affirmera que le premier raisonnement est une connaissance par la cause, tandis que le second ne nous donne que la connaissance d’un fait, sans manifester sa cause. Bien plus tard, la scolastique distinguera ainsi deux types de démonstrations : la démonstration par les causes (le premier raisonnement est nommé démonstration « propter quid ») et la démonstration par l’effet (le second raisonnement est nommé démonstration « quia »), démonstration imparfaite.

« Antérieures », car la cause de la conclusion que constituent les prémisses est toujours antérieure à son effet, la conclusion. Il y a donc une antériorité dans la connaissance : la cause est par nature plus connue que son effet, plus connue que la conclusion.

« Premières », car les prémisses sont les principes du raisonnement et de la conclusion.

Une fois posées ces principales conditions regardant les prémisses de la démonstration, Aristote va répondre à deux objections s’opposant à la démonstration. La première consiste à dire que la démonstration est impossible, car si la démonstration repose sur des propositions immédiates, ces propositions n’étant pas démontrées, elles n’ont pas le même caractère de nécessité et de certitude. La démonstration reposerait alors sur une hypothèse : la supposition que les prémisses premières et immédiates sont vraies, sans moyen de le démontrer. Tout connaissance serait alors dialectique, c’est-à-dire du registre de l’opinion ; il n’y aurait pas de démonstration scientifique.

La deuxième soutient que la démonstration est possible, car toute proposition est susceptible de démonstration. Mais comment échapper à la première objection ? Par la démonstration circulaire : les prémisses servent à démontrer la conclusion et la conclusion les prémisses. La démonstration reposerait donc uniquement sur elle-même.

Aristote répond en disant que ces deux objections se fondent sur la même erreur : croire que la seule façon de connaître une proposition est de la démontrer. Ainsi, soit l’on doit remonter jusqu’à l’infini pour démontrer les prémisses, soit l’on accepte la démonstration circulaire. Mais aucune de ces deux options n’est possible. La régression à l’infini est impossible et la démonstration circulaire signifie que l’on démontre ce qui est plus connu par ce qui est moins connu : l’on démontre les prémisses, qui sont plus connues que la conclusion, par la conclusion elle-même, qui est moins connue que les conclusions.

La science est-elle alors impossible ? Comment la justifier, si toute proposition n’est pas démontrable ? En montrant que la démonstration n’est pas la seule manière de connaître de façon vraie et nécessaire une proposition : il existe une autre forme de raisonnement qui permet de découvrir des prémisses immédiates – l’induction. L’induction est bien cette connaissance non démonstrative qui, partant de l’expérience et des sens, aboutit à la découverte de propositions universelles et immédiates, non démontrables. Elle est « principe de science » (I,3). L’induction part de ce qui est le plus connu pour nous, les faits sensibles, pour aboutir à ce qui est le plus connaissable, le plus intelligible en soi : les propositions universelles immédiates. On comprend alors l’importance qu’acquiert l’induction dans la philosophie aristotélicienne. Si elle ne produit pas par elle-même la science, elle en est le principe, l’origine première – pas de science sans induction préalable.

 

 

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