8 Mai 2020
J’avoue ne m’être jamais beaucoup intéressée à l’œuvre de Jacques Derrida. Cependant, la notion de déconstruction imprègne notre quotidien. Après avoir lu l’article de l’Olivier sur l’ouvrage Les sentinelles de l’humanité de Robert Redeker http://lecerclephi.com/2020/05/le-heros-et-le-saint-tues-par-la-philosophie.html, j’ai essayé de comprendre ce qu’induit cette idée de déconstruction ; mais en ce temps de confinement, il est difficile de se procurer un ouvrage traitant du sujet. N’étant pas familière des concepts philosophiques, je propose une simple réflexion tirée de mon expérience.
Jacques Derrida s’est opposé à la théorie linguistique de Ferdinand de Saussure qui distingue le signifiant et le signifié : le signifiant renvoie à la forme du signe et le signifié à son contenu.
Pour Jacques Derrida, il n’y a pas de représentation mentale universelle – par exemple le signifiant « eau » peut renvoyer à l’image d’un lac, à la formule chimique H2O, à une goutte d’eau. Il s’ensuit que le signifiant peut renvoyer à une chaîne infinie de signifiants. Donc pour comprendre un discours il faut s’intéresser davantage à sa forme, ce qu’on appelle encore sa représentation. Pour comprendre le sens, il faut déconstruire cette forme et c’est dans ce processus de déconstruction qu’advient le sens.
« Non, déconstruire, cela ne veut pas dire détruire ! Il s’agit de comprendre les postulats qui construisent les discours », m’avait dit un collègue de travail en m’invitant à un séminaire intitulé : « Déconstruire le Social ». Ce séminaire était organisé par un sociologue d’obédience marxiste.
J’ai participé à ce séminaire ; le conférencier nous y présentait une critique des politiques sociales où il repérait les représentations qui les sous-tendent. Dans cette démarche, il faisait apparaître ce qu’il considérait comme des a priori petits bourgeois.
Je compris rapidement que la dimension destructrice de cette approche opérait surtout au niveau du débat. En effet, assez rapidement après sa prestation, le conférencier déclarait que sa démonstration se référait à sa philosophie marxiste, donc à ses propres représentations. Il précisait que nous avons tous des représentations du social et que ce séminaire avait pour objectif de les « travailler ».
Avec cette subtile remarque celui qui se met dans une position de « critique » peut continuer à saper les bases d’un discours particulier, tout en évitant d’être passé au scalpel d’une critique de sa critique puisque d’une certaine manière, il « annonce déjà sa couleur ». C’est la fin du courage intellectuel.
Il y a peu d’authentiques philosophes aujourd’hui, par contre les critiques foisonnent. Dans tous les domaines, nous les voyons se positionner en surplomb, passant ironiquement sur le grill tel ou tel discours, sans se confronter à la contradiction – puisque « nous avons tous des représentations, moi aussi j’en ai, c’est un fait ». Ainsi, comme Cyrano, ils pourraient dire : « Je me les sers moi-même avec assez de verve/Mais je ne permets pas qu’un autre me les serve ! » Et pourtant Cyrano se battait à la fin de l’envoi !
On a souvent recours aux représentations pour apaiser les conflits. Je ne pense pas être la seule à avoir eu cette proposition de « travailler sur nos représentations ».
Je retiens deux exemples :
Dans le cadre de mon activité professionnelle, en réunion de service, la question de la prise en charge de l’hébergement des personnes sans papier, avait été abordée. Au cours d’une discussion très vive, des points de vue fort divergents s’exprimaient. Quelques jours plus tard une formation nous était proposée afin de « travailler autour de nos représentations » sur ce sujet. La conclusion de cette formation était que nous avons tous une vision différente des choses en fonction de notre histoire, de nos origines et que nul ne possédait la Vérité. Cette « formation » avait annulé toute capacité de débat à ce sujet entre nous. Mais tout était plus calme !
Cette stratégie d’extinction des feux s’applique aussi au sein de la pastorale ecclésiale. Ainsi je me souviens que le curé de ma paroisse avait organisé des conférences sur l’Église. A l’issue du dernier enseignement j’ai demandé au conférencier pourquoi il n’avait jamais parlé de Marie dans son approche du mystère de l’Église. Une discussion musclée suivit ma question, avec l’expression d’importants désaccords. Lors de la rencontre suivante, un enseignement supplémentaire nous fut proposé : « L’image de Marie à travers ses différentes représentations dans l’Histoire et les traditions chrétiennes », histoire de clouer le bec des fidèles en toute charité chrétienne !
La vérité n’est plus ainsi considérée comme un absolu, mais elle est relative à nos représentations du réel. Jacques Derrida a conçu la déconstruction en relation avec les travaux du philosophe Heidegger, qui souhaitait détruire les fondements de la métaphysique classique. Il apporte son concours à cette entreprise en contribuant à la destruction de la notion de vérité.
Cette théorie de la déconstruction, sévit aussi dans la théologie chrétienne. Qui n’a pas entendu : « Nous avons tous des images de Dieu » ? « Il faut purifier nos images de Dieu », comme le conseillait Maurice Bellet, plus particulièrement dans son ouvrage : Le Dieu pervers. Cependant, ne risque-t-on pas cependant de réduire ainsi Dieu à une représentation parmi d’autres, et donc de détruire la Foi ?